Chroniques

Année: 1993

Auteur: Claude Minière (*1938)

Artiste: Stephen Buckley (*1944)

Éditeur: Collectif Génération

Couverture de Chroniques

Collectif Génération était connu auparavant sous des noms à peu près identiques tels que Génération et Collectif génération. Ces noms se rapportent aux pensées sur la collectivité moderne et la coopération interdisciplinaire dont l'origine remonte à la fin des années soixante et soixante-dix. Dans cette mouvance la revue Tel quel et Philippe Solers, son rédacteur en chef, ont joué un rôle important.

L'objectif de Collectif Génération était de réunir des poètes et des écrivains et de les encourager à 'renouveler la pratique et le discours sur la poésie et la peinture en France', afin d'utiliser les liaisons transversales entre livre et toile pour ouvrir des voies intermédiaires ou nouvelles, et pour favoriser des confrontations. Non seulement les livres d'artistesde cet éditeur sont des expériences de coopération entre auteurs et artistes, ce sont souvent aussi des artistes et auteurs de différents pays qui y coopèrent, comme dans le cas des Chroniques de l'artiste plasticien anglais Stephen Buckley et du poète et critique d'art français Claude Minière. L'éditeur est l'architecte du livre, il ne laisse pas les artistes entièrement libres mais il est la force économique et esthétique qui propulse le projet et Gervais Jassaud souhaite retrouver sa vision dans le résultat final: 'des livres qui rendent les autres livres illisibles'. Le rôle de l'auteur est parfois minime dans ce processus; en vérité, la coopération s'opère généralement entre l'éditeur et l'artiste.

Comme des particules lumineuses

Le texte commence - tout comme Finnegans wake de James Joyce - par le mot 'riverrun': 'riverrun; duo, danse; contre le labyrinthe; elle; deux mots pour la nature; l'hommage à Montaigne'. La danse est la vraie rivale du poète, affirme Minière, car dans la poésie il y a toujours un point fixe 'où nous partons dans la déclinaison des particules', où des copules mettent le monde en mouvement, où la conversation est conservée et où la danse fait son entrée avec la métrique, 'enlevant' ainsi le poème. C'est une danse comparable à celle des atomes et électrons qui dansent les uns autour des autres, dans la haine et l'amour, dans tout ce que nous voyons: 'dans le soleil, dans la nuit, dans la froideur d'une première pensée'. Nous aussi, selon Minière, nous sommes comme des photons: des particules lumineuses. A la fin du poème, Minière salue les philosophes Empédocle et Montaigne : 'Et, là, il arrive à sortir une ligne du fouillis'. Dans sa poésie, Minière a volontairement orchestré le langage comme un fouillis et il saute d'un son à l'autre, d'un rythme à l'autre, d'une association à l'autre. Minière souhaite que le poème et la pensée sur ce poème (la pensée du lecteur tout comme celle de l'auteur) se confondent et forment un seul texte.

De ce texte ont été réalisées trois éditions: une avec des illustrations de Toni Grand (en 1991), une avec des gouaches d'Eléna Berriolo (1993) et une avec des gouaches de Stephen Buckley (1993), dont ce livre est un exemplaire. En juillet 1991, l'éditeur, Gervais Jassaud, et l'artiste ont discuté du projet et le livre a été imprimé en 1993 par Francis Mérat dans son atelier à Paris. Il a été tiré à 12 exemplaires similaires mais pas tout à fait identiques, puisque les gouaches sont originales. Les deux éditions de 1993 ont été conçues de telle sorte que le lecteur doit faire un choix à chaque page: est-ce que je lis le texte ou est-ce que je regarde la gouache? En premier lieu, le lecteur fait les deux. Cependant, le papier est plié et découpé de manière à engendrer des formes triangulaires qui ne font apparaître que la moitié de l'illustration ou du texte. Cela donne une grande diversité : des pages où l'on peut uniquement lire le texte mais qui offrent la possibilité de découvrir l'illustration en soulevant un volet - ou l'inverse. Il y a aussi des pages où l'on peut voir la moitié du texte et la moitié de la gouache, ce qui fait qu'en soulevant le triangle on fait apparaître le texte complet ou l'illustration complète. Cela a l'air compliqué, mais il s'agit en réalité d'une trouvaille et d'une intervention simples, destinées à rendre la lecture imprévisible et variée, pour 'mobiliser'.

Le bricoleur

Les peintures de Stephen Buckley jouent avec le spectateur un jeu qui ressemble un peu à cela. Il cache ou dévoile les sources d'inspiration dans une mesure toujours changeante, notamment par les titres des ouvrages. L'artiste, né à Leicester en 1944, a été influencé aux alentours de 1960 par le Pop Art et par des rencontres avec Francis Picabia, Kurt Schwitters et Marcel Duchamp. La construction de son ouvrage est souvent voyante, les matériaux hétéroclites évoquent aussi un bricoleur: cirage, caoutchouc liquide, plexiglas, morceaux de tapis et vieux vêtements. Les matériaux sont déchirés, pliés puis agrafés, vissés et tissés entre eux. Des objets de tous les jours figurent couramment dans ses peintures, mais tot aussi biendes motifs architecturaux, mais aussi des buses et des patrons de couturière.

Il s'agit ici d'une édition à faible tirage: 12 exemplaires, mais cela n'est pas mentionné sous l'achevé d’imprimer, l'éditeur ayant souvent connu des cas d'artistes qui ont détruit une partie du tirage pour cause d'insatisfaction, ou qui ont dû y consacrer tellement de temps que l'ensemble du tirage n'a jamais pu être réalisé. C'est pourquoi, par précaution, le nombre d'exemplaires n'est pas fixé par avance dans l'achevé d'imprimer. Tout bien considéré, l'éditeur a conscience d'avoir d'illustres prédécesseurs:Vollard, Kahnweiler, Tériade et Iliazd. Comme eux, Jassaud souhaite laisser un témoignage de son époque dans les livres qu'il publie.

Description bibliographique

Description: Chroniques / Claude Minière [texte] ; Stephen Buckley [peintures originales en couleurs]. - Colombes : Collectif Génération, [1993]. – [6] cahiers : ill. ; 23×26 cm

Imprimeur: Francis Mérat (Paris)

Tirage: 12 exemplaires

Note: Signé par l'auteur et l'artiste

Bibliographie: Bénézit 2-928

Cotation: KW Koopm L 500

Références bibliographiques

  • Debra Bricker Balken, 'Notes on the publisher as Auteur', dans: Art journal, 52 (1993) 4 (Winter), p. 70-71
  • Paul van Capelleveen, Sophie Ham, Jordy Joubij, Voices and visions. The Koopman Collection and the Art of the French Book. The Hague, Koninklijke Bibliotheek, National Library of the Netherlands; Zwolle, Waanders, 2009
  • Paul van Capelleveen, Sophie Ham, Jordy Joubij, Voix et visions. La Collection Koopman et l'Art du Livre français. La Haye, Koninklijke Bibliotheek, Bibliothèque nationale des Pays-Bas; Zwolle, Waanders, 2009
  • Le corps du livre: L'oeuvre éditoriale de Gervais Jassaud. Nîmes, Carré d'art bibliothèque, Ville de Nîmes, 1998
  • Marco Livingstone, Stephen Buckley, many angles. Oxford, Museum of Modern Art, 1985
  • Jean-Charles Masséra, 'Le livre à la recherche de son langage: L'exemple de Collectif Génération', dans: Bulletin du bibliophile, (1991), p. 105-140