Corps mémorable

Bien que différents artistes aient contribué au livre Corps mémorable, celui-ci n'est pas un livre d'artiste à faible tirage, mais un livre de photos, ce qui est actuellement un objet de collection populaire. Il n'a pas été question d'étroite collaboration entre le poète Paul Éluard et le photographe Lucien Clergue (1934-2014), Éluard étant alors déjà décédé. Il s'agit cependant d'une édition particulière, non seulement à cause de l'interaction entre les poèmes d'Éluard et les nus photographiques de Clergue, mais également grâce au premier poème, écrit par Cocteau, grâce à la couverture, réalisée par Picasso, et surtout grâce au fait qu'il s'agissait du premier livre contenant des photos de nus dont la vente publique soit autorisée à Paris.

Dédicaces

On ne connaît pas l'identité de la femme à la généreuse poitrine qui est représentée sur les douze photographies de Clergue. Elle n'est mentionnée dans aucune des dédicaces qui précèdent le texte proprement dit. Le photographe a dédicacé le livre: 'A la mémoire de ma chère mère Jeanne Grangeon'. Les poèmes d'Éluard ne sont pas dédicacés à celle dont il y évoque le souvenir. Le 'elle' des poèmes fait référence à Maria Benz ou Nusch 'la parfaite', le grand amour d'Éluard. Elle était décédée un an avant la première publication de *Corps mémorable *(sans les photographies de Clergue). Il avait dédicacé l'ouvrage à Jacqueline, qui l'avait soutenu dans son deuil et son désespoir:

Ah ! mille flammes, un feu, la lumière,

Une ombre !

Le soleil me suit,

Jacqueline me prolonge

Carré d'as

Dans sa jeunesse, Lucien Clergue s'était lié d'amitié avec ceux qu'il appela plus tard son carré d'as: Picasso, Cocteau, Éluard et l'éditeur Pierre Seghers. Il partageait avec eux son inclination pour les courses de taureaux et le nu académique. Clergue est enraciné dans sa célèbre petite ville natale, Arles, où Van Gogh lui aussi avait vécu et travaillé. Clergue commença à photographier en 1949, en autodidacte. Jean Cocteau vit ses photos et l'incita à les envoyer à Seghers. Ce dernier demanda ensuite au photographe, qui avait alors 23 ans, d'illustrer une nouvelle édition de Corps mémorable. Ce furent les premiers pas de Seghers dans le domaine du livre d'artiste. Le dessin de Picasso sur le devant de la couverture est la version abstraite de la photo de nu de Clergue qui se trouve sur l'envers.

A travers les mailles du filet

La composition du texte de Corps mémorable a été réalisée en rouge et en noir par Jean Paul Vibert. Le poème liminaire est de Cocteau et s'intitule 'A Clergue pour ses nus'. Seghers espérait secrètement que les photos de nus – où l'on pouvait voir les seins et les poils pubiens d'une jeune femme – se chargeraient de la publicité. Mais étant donné que son visage n'était pas visible, la publication échappa aux caprices de la censure. Les photographies de ce genre se vendaient habituellement en cachette, mais cet ouvrage était en vente libre et atteignit de ce fait un statut de livre culte. Il fut d'ailleurs maintes fois réédité.