La fin du monde, filmée par l'ange N.-D.

Année: 1919

Auteur: Blaise Cendrars (1887 - 1961)

Artiste: Fernand Léger (1881 - 1955)

Éditeur: Éditions de la Sirène

Blaise Cendrars, Fernand Léger, La fin du monde filmée par l'ange N.D. (1919)

Les premières années de l'Edition de la Sirène ne sont pas très claires. Blaise Cendrars l'évoque plus tard dans ses mémoires. Depuis lors, on s'est rendu compte de l'importance de l'impact que cette maison d'édition a eu sur le stylisme du livre moderne en France. La maison d'édition est fondée par Paul Laffitte. La première publication paraît en mars 1917. Il est possible que Cendrars et Laffitte se soient rencontrés en 1918: à l'époque Laffitte fait une erreur d'orthographe en notant dans un contrat le nom de 'Candras'. La même année paraît le fameux livre Panama et en 1919 suit la parution de La fin du monde, filmée par l'ange N.-D. en tant que 38e édition de la Sirène. L'abréviation N.D. signifie: 'Notre Dame', désignant la cathédrale de Paris.

Cette édition est illustrée par le peintre Fernand Léger. Dans la bibliographie de La Sirène, on trouve un répertoire de tous les logotypes d'éditeurs qui avec les années ont été conçus pour les pages de titrespar des artistes comme Kees van Dongen, Raoul Dufy et Marie Laurencin. Celui que Léger a créé pour ce livre n'est pas mentionné, il est peut-être trop différent des autres. Léger dessine une Sirène moderne formée par un empilage de haut-parleurs.

Un fin du monde filmique

En 1918 et 1919, Cendrars est conseiller littéraire pour la maison d'édition 'A la Sirène' où il occupe le poste de directeur, mais on ne sait pas s'il l'était effectivement. Ce n'est pas lui qui s'occupe de la correspondance administrative de l'entreprise car il est plus souvent ailleurs que présent à Paris. A cette époque, Cendrars assiste le cinéaste innovateur français Abel Gance. Son intérêt pour le cinéma ne s'arrête pas là. Il se profile également dans les titres La fin du monde filmé par l'ange N.-D. et L'abc du cinéma (1926), une plaidoirie pour le film. Dans la dédicace autographe par l'auteur de l'exemplaire de l'abc que possède la Collection Koopman, on voit qu'il considère le film comme 'un nouveau langage mondial.' Il ne voyage pas seulement pour faire des films. Il est aussi un journaliste-aventurier fervent et très jeune il traverse déjà l'Asie. Pendant son service militaire durant la première guerre mondiale, il perd son avant-bras droit.

Le style de Cendrars est associatif et d'une drôlerie frisant la crudité. Au début de La fin du monde, il entre directement dans le vif du sujet: 'Dieu le père est à son bureau américain. Il signe hâtivement d'innombrables papiers.' Il interrompt son travail pour téléphoner et réunit tous ses chefs de département. Ce sont tous les chefs religieux du monde. Ça va du Pape jusqu'à Raspoutine. Ensuite, il fait le bilan de la situation: l'année a été bonne. La Guerre mondiale a rapporté bon nombre d'âmes. Ensuite, il voyage vers la planète Mars en passant par Interlaken et déverse toutes sortes de fléaux possibles et imaginables sur l'humanité pour optimaliser le bénéfice de l'entreprise. Le monde dépeuplé est alors envahie par les plantes. Après 55 petits chapitres, qui s'enchaînent de façon abrupte, le film est rapidement rembobiné et Dieu est de nouveau assis à son bureau avec une seule différence: il a fait faillite.

Art déco et l'homme moderne

Les illustrations de Fernand Léger rendent ce livre exceptionnel. C'est devenu un livre d'artiste très recherché car il illustre bien le 'rythme de son époque.' Léger connaissait l'auteur déjà depuis 1910. En 1919, l'année de la parution, Léger a sa première exposition personnelle. En plus du logotype de l'éditeur, il crée aussi sept illustrations en pleine page, quatre vignettes, cinq illustrations comme en-tête de chapitre et trois illustrations qui s'étalent sur deux pages. Par ailleurs, il dessine le plat et le contre plat dans le même style: abstrait et cubiste. La plupart des illustrations sont imprimées en combinant deux couleurs ou plus: noir, orange, jaune, bleu, rouge, rose. Ces couleurs sont caractéristiques pour le style art déco. Le texte et l'illustration sont entrelacés: sur la page de texte, des vignettes de couleur sont imprimées sous le texte; dans les illustrations, on voit des lettres et des chiffres, des slogans de publicité et des citations qui tous ensembles représentent l'image d'une ville moderne et agitée.

Pour ce livre, Léger élabore une typographie composée du robuste caractère Morland en corps 24, qui donne au livre un aspect sombre et mécanique. Il y a une relation très nette entre le film et l'illustration. L'histoire est racontée comme s'il s'agissait d'un scénario. Elle est aussi mise en image par l'expérimentation typographique de Léger: elle est composée de lettres séparées, de différentes types de caractère insérées dans les illustrations, l'auteur insère aussi des lettres de caisse (caractèresau pochoir utilisés pour marquer le contenu des caisses de transport) et des symboles à grands corps comme des lumièresau néon dans la nuit. C'est ainsi que l'homme moderne perçoit le déclin du monde, vu à travers l'objectif d'une caméra qui tourne. Ce livre est crucial pour Léger: il l'aide à former ses idées sur la mécanisation et sur la peinture. La réalisation de ce livre a lieu avant les rencontres entre Léger et Le Corbusier, Van Doesburg et Mondriaan. Léger lui-même est également très actif comme cinéaste. Son film célèbre de 1924, Ballet mécanique, en témoigne.

Envoi autographe de Blaise Cendrarsà Louis Koopman

L'édition de 1919

Le projet de la création de ce livre est mis en place début 1918, comme une collaboration de plusieurs auteurs, dont Jean Cocteau et Apollinaire, qui tous devaient présenter leur propre film. Pourtant, la réalisation ne se passe ainsi: le livre est achevé le 15 octobre 1919, chez l'imprimeur Frazier-Soye. L'édition en couleur est faite chez l'éditeur Richard, où les illustrations sont exécutées au pochoir. Le tirage comporte 1225 exemplaires, dont 25 imprimés sur papier de Rives et 1200 sur vélin Lafuma. Le prix de vente de l'édition ordinaire est de 20 francs (à l'époque). Les 25 exemplaires de luxe coûtent 50 francs. Ces derniers sont rapidement épuisés, mais en 1937 il restait encore 134 exemplaires du tirage ordinaire. Le livre présenté fait partie des exemplaires 'ordinaires' et porte le numéro 316. En face de la page de titre se trouve une dédicace écrite de la main de l'auteur pour le collectionneur sur 'La fin du monde': 'A monsieur Louis Koopman. Ce film qui ne sera jamais tourné. Blaise Cendrars.'

Description bibliographique

Description: La fin du monde, filmée par l'ange N.-D. : roman / Blaise Cendrars ; compositions en coul. par Fernand Léger. - Paris : Éditions de la Sirène, 1919. - [60] p. : ill. ; 32 cm

Imprimeur: Frazier-Soye (Parijs), Richard

Tirage: 1225 exemplaires

Exemplaire: No. 316 des 1200 sur papier registre vélin Lafuma

Caractère: Morland

Note: Envoi autographe de l'auteur à Louis Koopman

Bibliographie: Bénézit 8-441 ; Carteret V-41 ; Castleman 170 ; Édouard-Joseph II-351 ; Hogben 54 ; Johnson 26 ; Mahé I-440 ; Monod 2395

Cotation: KW Koopm A 579

Références biblographiques

  • Paul van Capelleveen, Sophie Ham, Jordy Joubij, Voix et visions. La Collection Koopman et l'Art du Livre français. La Haye, Koninklijke Bibliotheek, Bibliothèque nationale des Pays-Bas; Zwolle, Waanders, 2009
  • Pascal Fouché, La Sirène. Paris, Bibliothèque de Littérature française contemporaine de l'Université Paris, 1984
  • Fernand Léger, 1911-1924: The rhythm of modern life. Munich,Prestel, 1994