Un soupçon

Année: 1965

Auteur: Paul Éluard (1895 - 1952)

Artiste: Michel Guino (1926 - 2013)

Éditeur: Degré quarante et un

Un soupçon, couverture

Malgré ses quarante-cinq ans d'expérience dans le domaine de la fabrication et de l'édition de livres d'artistes, cette publication s'est avérée difficile pour Iliazd. Michel Guino, l'illustrateur, a expliqué que la réalisation d'Un soupçon avait pris deux ans car les préparations avaient nécessité de nombreuses d'études et dessins, et parce qu'il avait fallu faire différents états des gravures. Iliazd était aux commandes du processus de création, se montrait exigeant et ne déviait pas d'un pouce quant à ses idées sur l'esthétique de ce livre.

Iliazd déclara au sujet d'Un soupçon: 'Je ne dirai pas que ce livre sera plus soigné que d'autres livres que j'ai faits, mais il sera certainement un des plus réfléchis.'

Une beauté raffinée

Pour de nombreuses raisons, ce livre ne cède cependant en rien à cet autre livre réalisé par Iliazd: Poèmes et bois (1961). Un simple coup d'œil suffit pour voir à quoi Un soupçon doit, lui aussi, sa beauté: le papier Japon ancien, les gravures à la pointe sèche colorées de Guino, la couverture en parchemin et la typographie subliment soignée, appliquée de manière systématique jusque sur la cassette. Ce sont typiquement les ingrédients qui caractérisent Iliazd en tant qu'éditeur de qualité. Il accorde par ailleurs, comme il nous y a habitués, une grande attention à l'aspect littéraire du livre d'artiste, et non pas uniquement à l'aspect artistique. En effet, Un soupçon comprend un seul des centaines de poèmes écrits par Eluard (non publié!). Dans cette édition grand format, ce poème répétitif est agrandi au sens propre comme au sens figuré; chaque vers est imprimé sur une page différente, afin de faire ressortir encore davantage les mots. Le côté littéraire, le texte, est renforcé par une typographie inventive, que ce soit par l'usage de la couleur ou par la mise en page.

Une histoire mouvementée

Derrière la beauté raffinée de ce livre se cache du reste une histoire mouvementée. Éluard avait promis d'écrire une préface pour le poème d'Iliazd Lidantiu faram (1923), mais s'était rétracté après l'incident de la soirée dite du 'Cœur à Barbe'. Tristan Tzara était l'organisateur de cette soirée et Iliazd en avait réalisé l'affiche. Éluard ne voulait pas que son nom paraisse à côté de celui de Cocteau sur le programme, et revint sur sa promesse dans une lettre adressée à Iliazd. Mais ce n'est pas tout. Au cours de la fameuse soirée dada du 6 juillet 1923, Iliazd ne voulut pas prendre parti dans un conflit entre Éluard et Tzara. Au grand dam d'Éluard, Tzara avait fait appel à la police pour expulser André Breton et avait poursuivi Éluard en justice pour la somme de 30.000 Francs; car c'était principalement la faute de ce dernier, considérait Tzara, si la deuxième soirée n'avait pas pu avoir lieu. Finalement, afin de préserver leur bonne entente et leur amitié, Éluard proposa à Iliazd le poème Un soupçon.

Sculpture sur papier

Iliazd fut si impressionné par ce poème qu'il désira en faire un beau livre après le décès d'Éluard. Le mot 'légère', en particulier, qui y revient régulièrement (avec ses multiples significations: fine, aérienne, audacieuse), lui avait fait une vive impression et provoquait en lui toutes sortes d'associations d'idées. À chaque répétition du mot 'légère', il imaginait une sorte de sculpture d'acier aérienne qui représenterait le poème d'Éluard. Il avait déjà un artiste en tête pour réaliser cela, le jeune sculpteur français Michel Guino, avec lequel il avait fait connaissance en 1955 à Saint-Germain des Prés. Les gravures en couleur de Guino, cinq au total, ressemblent de manière frappante aux sculptures aériennes d'acier déchiré dont Iliazd avait rêvé. Ces 'sculptures sur papier' sont de couleurs si chaudes et font un tel usage de la perspective qu'elles donnent l'impression d'être en trois dimensions et sortent presque du papier.

Description bibliographique

Description: Un soupçon: poème / de Paul Éluard ; ill. de pointes sèches par Guino ; mis en lumière par Iliazd. - Paris : Degré quarante et un, 1965. - [34] bl. : ill. ; 44 cm

Imprimeur: Union

Tirage: 41 et VI exemplaires sur Japon impérial et 23 (et 2 exemplaires nominatifs) sur vieux Japon

Exemplaire: No. 8 des 23 sur vieux Japon

Note: Signé par l'auteur et l'éditeur.

Bibliographie: Bénézit 6-584, 6-806

Cotation: KW Koopm E 69

Références bibliographiques

  • Paul van Capelleveen, Sophie Ham, Jordy Joubij, Voices and visions. The Koopman Collection and the Art of the French Book. The Hague, Koninklijke Bibliotheek, National Library of the Netherlands; Zwolle, Waanders, 2009
  • Paul van Capelleveen, Sophie Ham, Jordy Joubij, Voix et visions. La Collection Koopman et l'Art du Livre français. La Haye, Koninklijke Bibliotheek, Bibliothèque nationale des Pays-Bas; Zwolle, Waanders, 2009
  • Exposition Iliazd: ses peintres, ses livres, du 23 mai au 15 juin 1991. Paris, Flak, 1991
  • Iliazd. Paris, Centre Georges Pompidou, 1978
  • Audrey Isselbacher, Iliazd and the illustrated book. New York, Museum of Modern Art, 1987
  • Johanna Drucker, 'Iliazd and the Book as a Form of Art', in: The journal of decorative and propaganda arts, 7 (1988) Winter, p. 36-51
  • Violaine Vanoyeke, Paul Éluard: Le poète de la liberté. Paris, Julliard, 1995
  • Françoise Woimant, Marcelle Elgrishi, 'Iliazd, Tériade et Pierre Lecuire, trois grands éditeurs de notre temps', in: Nouvelles de l'estampe, 15 (1974) mai-juin, p. 17-23