Le siège de l’air

Le siège de l’air, couverture avec un papier déchiré de Jean Arp

Année: 1946 
Auteur: Jean Arp (1886 - 1966) 
Artistes: Sophie Taeuber-Arp (1889 - 1943) and Jean Arp (1886 - 1966) 
Éditeur: Pro Francia

Dès le début de sa carrière, l’artiste et le poète Jean Arp accordait de l’importance à la co-création. Son rôle primordial au sein de plusieurs groupes avant-gardiste en Europe - comme le dadaïsme et le surréalisme - et son intérêt pour les possibilités d’interaction entre les différentes formes d’expression en témoignent. Il aimait jouer avec toutes sortes de matériaux et il créait régulièrement des variations sur ses propres sculptures, dessins et collages. Arp publiait même diverses variantes de ses poèmes, écrits tantôt en allemand, tantôt en français. Ses amis l’aidaient ensuite à traduire ses propres textes. La publication de sa première anthologie française, Le siège de l’air (1946) est un bon exemple d’un tel processus de création. Arp faisait d’abord une traduction mot à mot, puis essayait les synonymes proposés par son éditeur, le poète Alain Gheerbrant (1920-2013), qui ne maîtrisait d’ailleurs pas l’allemand.

Des ‘duos’, suivis par des ‘ré-créations’

L’anthologie est dédiée à sa femme Sophie Taeuber, sa partenaire artistique la plus importante. Les illustrations - un papier déchiré sur la quatrième de couverture et huit duo-dessins de Arp et Taeuber - ne renforcent pas seulement le caractère moderniste de l’ouvrage. Elles font également ressusciter l’œuvre de Taeuber après son décès soudain d’une intoxication de monoxyde de carbone, en 1943. Les dessins au trait, en noir et blanc, datent pourtant de 1939 et font partie d’une série de vingt ‘duos’. Ce troisième et dernier projet de collaboration de Taeuber et Arp se concentre sur le jeu des lignes. Les rapports entre les lignes, sans oublier le contraste avec la surface plane, fournissent de multiples variations. Des formes sinueuses mais fermées et des constructions triangulaires et stabiles s’alternent. Quoique les thèmes de prédilection de Taeuber et Arp (comme des bonhommes-bâton ou des amibes) restent visibles, leur contributions individuelles se fondent dans l’ensemble.

Taeuber, qui s’appelait modestement une ‘artiste peintre’, était une vraie pionnière de l’art abstrait et concret. Elle confectionnait des œuvres en textile, de la décoration intérieure et des peintures murales et elle travaillait comme professeur, danseuse et marionnettiste. Outre son travail individuel, elle illustrait les recueils de poèmes de Arp et participait en tant que rédacteur en chef à la publication de Plastique-Plastic, une revue d’art internationale. En quête d’un langage géométrique universel, elle développait un style éminemment moderne, empreint de mouvement et de l’humour.

Arp, qui était alors plus connu que Taeuber, emmenait toujours ses visiteurs à l’atelier de sa femme. Après sa mort accidentelle il ne cessait pas de promouvoir son œuvre éclectique. Il continuait même leurs dialogues artistiques. C’est ainsi que leurs ‘duos’ ont fait place aux ‘ré-créations’, qu’il considérait toujours comme des œuvres de Taeuber. Il se servait de reproductions de son travail pour en faire des papiers déchirés ou des reliefs en métal. Leurs duo-dessins de 1939 ont été transformés en collages. D’autre part, il consacrait de nombreux poèmes à son épouse, son ‘étoile’. Le deuil et les louanges s’entremêlent dans ‘chanson pour sophie’ et ‘violettes rouges’, provenant du Siège de l’air. Elle y fait fleurir un monde de rêve, où les ailes et le feuillage, la nuit et le jour se confondent.

Un recueil moderniste sans pareil

Le caractère personnel de ces poèmes semble pourtant moins présent au début du volume. La quête spirituelle de Arp émerge de temps en temps, mais l’influence du dadaïsme et du surréalisme est clairement perceptible. Ses textes surprennent: le jeu de la répétition et la poésie sonore pleine d’humour et de dérision cèdent aux associations fantastiques et à l’écriture automatique. L’absence de capitales et de ponctuation de ses vers libres incite les lecteurs à passer en revue diverses interprétations.

Le siège de l’air, table des matières

L’usage des caractères sans empattements et l’omission d’éléments décoratifs renforcent l’apparence moderniste du recueil. La maquette du Siège de l’air a été composé par Alain Gheerbrant, un jeune éditeur avant-gardiste qui a été initié à la typographie et à la mise en pages par Arp. Mais sa future maison d’édition, K éditeur, n’adopterait pas ce style ascétique. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale Gheerbrant attendait encore sa patente. Afin de publier ses trois premiers livres il a eu recours à d’autres éditeurs. C’est pourquoi Le siège de l’air a été publié chez Pro Francia, en tant que première et dernière livraison d’une nouvelle revue poétique: Vrille. Le nom de la revue a été maintenu, jusqu’au début des années soixante Pro Francia a publié une collection poétique intitulée ‘Vrille’. Le siège de l’air n’en fait pas partie puisque c’est le premier volume de la collection poétique ‘Le quadrangle’. Cette série avant-gardiste a été publiée chez K éditeur, sous la direction d’Alain Gheerbrant.

Description bibliographique

Description: Le siège de l'air : poèmes 1915-1945 / Arp ; avec huit duo-dessins par Arp et Taeuber-Arp et un avant-propos par Alain Gheerbrant. - Paris: Pro Francia, 1946. - 140 p. : ill. ; 23 cm
Imprimeur: Grou Radenez (Paris)
Tirage: 1000 exemplaires
Exemplaire: Numéro 206 des 900 sur papier vélin blanc supérieur
Note: Couverture et page de titre mentionnent: Vrille
Bibliographie: Monod 523 ; Bénézit 1-468/471 & 13-427/428 
Cotation: KW KOOPM L 520

Références bibliographiques

  • Aimée Bleikasten, Arp: bibliographie I. London, Grant & Cutler, 1981-1983 
  • Aimée Bleikasten (red.), Arp poète plasticien: actes du colloque de Strasbourg, septembre 1986. Paris, L’Âge d’Homme, 1987
  • Renaud Ego, Atelier Jean Arp et Sophie Taeuber. Clamart, Fondation Arp; Paris, Éditions des Cendres, 2012
  • Alain Gheerbrant & Léon Aichelbaum, K éditeur. Cognac, Le temps qu’il fait, 1991
  • Sandor Kuthy (éd.), Sophie Taeuber, Hans Arp : Künstlerpaare, Künstlerfreunde : dialogues d’artistes, résonances. Bern, Kunstmuseum; Rolandseck, Stiftung Hans Arp und Sophie Taeuber-Arp; Fribourg, Office du Livre, 1988
  • Gabriele Mahn, ‘Biography’, in: Sophie Taeuber-Arp [site web] https://sophietaeuberarp.org/english/biografie/ consulté le 19-11-2024
  • Guenther C. Rimbach, ‘Sense and Non-Sense in the Poetry of Jean Hans Arp’, dans: The German Quarterly, 36/2 (Mar. 1963), p. 152-163
  • Eric Robertson, Arp: painter, poet, sculptor. New Haven and London, Yale University Press, 2006