La triloterie : poèmes composés en 1918

Année:
1920
Auteur:
Pierre Albert-Birot (1876 - 1967)
Artiste:
Léopold Survage (1879 - 1968)
Éditeur:
Sic
Couverture

L'invention du surréalisme et celle du mot le désignant n'eurent pas lieu le même jour. En effet, le mot 'surréalisme' fut créé par Apollinaire, qui hésitait entre 'surréalisme' et 'surnaturalisme'. Un de ses amis, Pierre Albert-Birot, avait au départ un autre nom pour le désigner: 'ultraréalisme', mais quand Albert-Birot força la décision pour le titre de l’œuvre théâtrale d'Apollinaire, Les mamelles de Tirésias, il fut écrit: 'drame surréaliste'. Albert-Birot était un artiste et poète entreprenant qui, en tant que petit éditeur après la Première guerre mondiale, fut ouvert, dans sa revue, aux jeunes auteurs et à la littérature innovatrice que les maisons d'éditions bien établies repoussaient systématiquement. Parmi ces petits éditeurs, les plus connus sont La Sirène et Au Sans Pareil. Albert-Birot était responsable de plusieurs revues, telles que Sic (de 1916 à 1919), Du (seulement 4 numéros en 1926), et quelques autres encore. Elles étaient imprimées en partie sur sa propre presse (ce qui n'était justement pas le cas pour Sic) et, de cette manière, Albert-Birot représentait une des rares 'private presses' de la France d'avant la Seconde guerre mondiale.

La forme visuelle

Sic fut aussi le nom de la maison d'édition, et fut plus tard celui de l'imprimerie de Pierre et Germaine Albert-Birot. Pierre Albert-Birot trouvait la forme visuelle de sa poésie tellement importante, qu'il manifestait un grand intérêt pour la composition et l'impression. Son nom fut vite associé aux courants futuriste, dadaïste et plus tard surréaliste, malgré la dissidence de la revue Sic qui, parallèlement aux premières revues révolutionnaires telles que Dada de Tristan Tzara et 391 de Francis Picabia, tenait bien sa place, même si ce fut pour une courte durée comme pour la plupart de ce type de revues. Adepte du mouvement cubiste, Albert-Birot ne devait jamais devenir un dadaïste ou un surréaliste à part entière. Cependant, l'invention suisse du dadaïsme se répandit à Paris grâce à des revues comme les siennes.

Les tirages de sa maison d'édition étaient couramment limités, et pour cette raison, un livre novateur comme Accordez-moi une audience... de Léonard Pieux, avec des gravures sur bois en couleur de Léopold Survage, est actuellement moins connu qu'il ne le mériterait. Albert-Birot accrochait des tableaux de Survage dans sa propre maison. L'illustrateur Survage fit pour une autre édition de Sic, La triloterie, une gravure sur bois qui fut imprimée en noir. Survage, de son vrai nom Sturzwage ou Sturzwasgh, était un artiste né en Finlande, qui découvrit l'art moderne via l'académie des Beaux-arts de Moscou et qui partit en 1905 en France, où il suivit des cours auprès d'artistes comme Matisse. Il réalisa des peintures murales pour l'exposition universelle de 1937. La gravure sur bois dans La triloterie était représentative du cubisme, avec des personnages vus et représentés simultanément depuis différentes perspectives.

Illustration de F.Torowai (entrep. [30] et 31)

Statue

Il est presque habituel - pour un livre aussi moderniste - que l'auteur et l'illustrateur s'engagent dans une autre voie que celle pour laquelle ils ont été formés: Survage devait devenir architecte et Albert-Birot sculpteur. La gravure sur bois de Survage parut antérieurement dans la revue Sic, numéro 53/54 de décembre 1919, où elle illustrait le texte avec lequel Albert-Birot préfaça le fascicule en 1920: La légende. Dans cette gravure sur bois- étrange et précisément non rectangulaire- la statue qui harangue la population au moyen d'un porte-voix a une place centrale. Dans la gravure sur bois celle-ci ressemble plutôt au bec d'un oiseau. Autour de la statue danse une foule extasiée, qui pousse des cris comme 'rrrrrrrron' ou 'ou ou ou ou' (on voit le couple Albert-Birot effectuer avec plaisir la composition typographique à la main et prendre dans la casse encore plus de caractères 'o' et 'u' en plomb). Ce poème a été écrit à l'origine comme une petite pièce qu'Albert-Birot aurait bien aimé voir jouer par des acteurs dansants.

L'autre illustration (en couleur) est attribuée dans le livre à un certain F.T., les initiales de F. Torowai, pseudonyme de l'auteur et éditeur Albert-Birot lui-même. Le dessin représente 'la fleur rouge', imprimée sur papier de Chine, du deuxième poème du recueil 'Les invectives contre l'automne'. Le petit livre- d'à peine 16 cm sur 12 cm- est imprimé, à franchement parler, de manière peu professionnelle, mais le tirage restreint en fait néanmoins quelque chose de particulier: ceci est le numéro 87 de seulement 124 exemplaires, imprimé sur papier d'Arches. Il se termine par 27 poèmes marginaux 'en marge des Rubaiyat d'Omar Khayyâm'. Les explications qui y figurent sont bizarres, comme par exemple:'Quelqu'un est venu nous déranger avant la fin'. La typographie du dernier poème- avec une demi-ligne bourrée de rectangles noirs- montre qu'avec un petit budget, il n'est pas facile de réaliser une impression techniquement correcte. Pendant cette période, Sic faisait encore imprimer les livres par un imprimeur de proximité, dénommé Rirachowsky et originaire de Russie, qui possédait une seule presse et travaillait à un prix avantageux. Il est clair que la perfection n'était pas comprise dans le prix!

Description bibliographique

Description:
La triloterie : poèmes composés en 1918 / Pierre Albert-Birot ; une grav. de Léopold Survage et un dess. en coul. de F.T. - Paris : Sic, 1920. - 60 p. : ill. ; 16 cm
Imprimeur:
Impr. spéciale de Sic (Rirachowsky)
Tirage:
124 exemplaires
Exemplaire:
No. 78 des 122 sur papier d'Arches à la forme
Bibliographie:
Bénézit 13-366 ; Monod 124
Cotation:
Koopm C 3734

Literatuur

  • Paul van Capelleveen, Sophie Ham, Jordy Joubij, Voices and visions. The Koopman Collection and the Art of the French Book. The Hague, Koninklijke Bibliotheek, National Library of the Netherlands; Zwolle, Waanders, 2009
  • Paul van Capelleveen, Sophie Ham, Jordy Joubij, Voix et visions. La Collection Koopman et l'Art du Livre français. La Haye, Koninklijke Bibliotheek, Bibliothèque nationale des Pays-Bas; Zwolle, Waanders, 2009
  • Debra Kelly, Pierre Albert-Birot: A poetics in movement, a poetics of movement. Madison, Farleigh Dickinson University Press, 1997
  • Marie-Louise Lentengre, Pierre Albert-Birot: L'invention de soi. Paris, Place, 1993
  • Sic. Paris, Place, 1980
  • Pierre Albert-Birot: Laboratoire de modernité. Paris, Place, 1997
  • W. J. Strachan, The artist and the book in France: The 20th century livre d'artiste. London, Owen, 1969