Alcools

Année:
1986
Auteur:
Guillaume Apollinaire (1880 - 1918)
Artiste:
Lil Michaelis (1911 - 1987)
Éditeur:
Paris
Guillaume Apollinaire, Alcools (1986): couverture

Guillaume Apollinaire s'appelait officiellement Wilhelm Albert Wladimir Alexandre Apollinaris de Kostrowitzky. Ces nombreux noms révèlent son origine polonaise et aristocratique et sa poésie et son personnage énigmatiques continuent de fasciner amateurs et lecteurs. Aux yeux de ses amis également, Apollinaire possédait un caractère insaisissable: obstiné et anticonformiste. Suspecté de complicité du vol de la Joconde, ou Mona Lisa, il fut arrêté par la police, puis incarcéré à la prison de la Santé, un événement plus connu dans les couloirs sous le nom de'l'Affaire Guillaume'.

Apollinaire: de l'Eau de vie à Alcools

Bien qu'Apollinaire n'ait passé que quelques jours au cachot et ait été acquitté un an plus tard, il décrivit sa détention comme une expérience traumatisante. Il se consolait en lisant les inscriptions gravées par les détenus précédents sur les murs de sa cellule. Celles-ci l'aidaient à mieux supporter sa privation de liberté, lui offrant de surcroit une source d’inspiration poétique. Entre le 7 et le 11 septembre (il fut provisoirement relâché le 12 septembre), il écrivit six poèmes - un pour chaque nuit – intitulés 'à la Santé'. Ceux-ci furent ensuite publiés dans Alcools (1913). Apollinaire avait l'intention de nommer Eau de vie ce recueil de poèmes de la période 1898-1913, mais choisit finalement Alcools afin de souligner le caractère moderne de son œuvre. Ce titre, direct et provocateur pour l'époque, rappelait ce que Baudelaire avait écrit plus tôt dans Le Spleen de Paris: 'Il faut toujours être ivre!' L'absence intentionnelle de ponctuation - à l'exception du point d'exclamation - était un acte tout aussi provocateur et novateur, par lequel Apollinaire ouvrait la voie au vers libre.

Cent Une Bibliophiles

Malgré le caractère novateur des poèmes, cette nouvelle édition d'Alcools est conservatrice; la typographie y est fonctionnelle et les illustrations sont, pour un livre d’artiste datant de 1986, remarquablement figuratives. La cassette bordeaux, qui porte au dos le titre Alcools, est élégante mais sobre. Peut-être était-ce justement le vœu des Cent Une, qui ont commandé et édité le livre, afin de rester fidèle à l'esprit fin de siècle. Les Cent Une, Société de Femmes Bibliophiles, fondée à Paris en 1926, était d'ailleurs la première association bibliophile destinée aux femmes. La qualité de membre y était réservée à cent une princesses, baronnes, marquises, duchesses, comtesses et épouses d'écrivains célèbres, ces dernières étant enregistrées sur la liste des membres en tant que Madame Paul Claudel, Madame André Maurois et Madame Paul Morand.

La vignette d'éditeur des Cent Une (un serpent dans un arbre, en train de lire un livre) montre que la lecture n'était pas uniquement une affaire masculine. De manière ludique, elle donne une tournure féministe positive au récit biblique du péché originel, dans lequel Eve se laisse convaincre par le serpent de goûter au fruit de l'arbre de la connaissance du bien et du mal.

Chant du cygne: gravures de Lil Michaelis

Faire illustrer les poèmes d'Apollinaire par une femme coulait évidemment de source, soulignant ainsi la présence des femmes dans cet ouvrage: une gitane, la 'dame en robe d'ottoman' et Salomé. Lil Michaelis n'était pas connue dans le monde du livre d'artiste. Autodidacte, elle réalisait surtout des collages et des tableaux. Elle fit son apprentissage entre 1950 et 1976 chez Stanley William Hayter, qui lui enseigna l'art de la gravure. Ce dernier avait provoqué entre autres un renouveau d'intérêt pour la gravure en tant que forme d'art autonome. Dans son Atelier 17, à Paris, il laissait à des étudiants et des artistes comme Michaelis, ou Alechinsky, la liberté d'expérimenter. Ce n'est que dix ans plus tard que Michaelis devait exprimer ses talents de graveur dans un livre d'artiste. Malgré une maladie qui la paralysait, elle réalisa à la demande des Cent Une seize gravures sur cuivre qui expriment l'atmosphère mélancolique d'Alcools. Ce livre d'artiste est également considéré comme le chant du cygne de Michaelis; c'est le premier et le seul du genre qu'elle a réalisé re ouvrait la voie au vers libre.

Description bibliographique

Description:
Alcools / Guillaume Apollinaire ; [gravures de Lil Michaelis]; – Paris: Les Cent Une, Société des Femmes Bibliophiles, 1986. - 198 p. : ill. ; 31 cm
Imprimeur:
Thierry Bouchard (Losne) (texte); Georges Leblanc (Paris) (gravures)
Tirage:
127
Exemplaire:
No. V de 127 sur papier chiffon à la main de Fleurac à Nersac et filigrané aux Cent Une. Exemplaire impr. pour Madame Charles Le Tanneur. Signé par la présidente et la vice-présidente de Cent Une, Société de Femmes Bibliophiles, et par l'artiste
Caractère:
Pierre-Simon Fournier
Cotation:
KW KOOPM K 314

Références bibliographiques

  • Marcel Adéma, Guillaume Apollinaire: Souvenirs et témoignages inédits de Louis Gonzague Frick… [et al.]. Albi, Éditions de la Tête Noire, 1946
  • Pierre Brunel, Apollinaire entre deux mondes: Le contrepoint mythique dans «Alcools». Paris, Presses Universitaires de France, 1997
  • Laurence Campa, Michel Décaudin, Passion Apollinaire: La poésie en perte de vue. Paris, Textuel, 2004
  • Michel Décaudin, Relire "Alcools". Paris, Lettres Modernes, 1996
  • Michel Décaudin, 'Apollinaire', in: Dictionnaire de poésie de Baudelaire à nos jours. Paris, Presses universitaires de France, 2001, p. 16-23
  • Raymond Hesse, Le livre d'après guerre et les sociétés de bibliophiles 1918-1928. Paris, Grasset, 1929
  • Lil Michaelis, Lil Michaelis, 1911-1987: Collages, peintures, gravures de 1959 à 1987. Paris, Galerie Vieille du Temple, 1989