Combat avec l'image

Année: 1941

Auteur: Jean Giraudoux (1882 - 1944)

Artiste: Tsuguharu Foujita (1886 - 1968)

Éditeur: Éditions Émile-Paul frères

Combat avec l'image, page de titre

L'histoire de Combat avec l'image, de Jean Giraudoux, s'imbrique dans celle de la Seconde Guerre mondiale. Dans ces années-là, l'auteur, également diplomate et fonctionnaire, balançait entre des points de vue politiques contradictoires. Ayant fait des études d'allemand, il se sentait profondément lié à l'Allemagne, et il affirmait lui-même être un citoyen franco-allemand. Dès que Vichy fut un fait, il démissionna de son poste du ministère de l'Information, hésitant cependant entre la résistance de l'intérieur ou à l'extérieur de la France.

Entre-temps, il faisait la navette entre Paris, la province et même le Portugal, à la recherche de son fils Jean-Pierre (qui se rendit à Londres via le Portugal, et se rallia à De Gaulle), et de son amante Isabelle. À Paris, il logeait dans un hôtel, soi-disant parce qu'il faisait trop froid chez lui; en réalité, pour éviter sa femme, Suzanne. Il écrivit Combat avec l'image pendant l'un de ses voyages, le portrait d'Isabelle, dessiné par Foujita, étant présent sur son bureau. Dans cet ouvrage, Giraudoux constata, avec l'ironie et le spleen qui le caractérisaient, que la civilisation française tirait à sa fin. D'après l'achevé d'imprimer, le livre sortit de presse le jour de la Toussaint 1941 (1er novembre).Giraudoux mourut avant même que Paris fût libéré, sans avoir revu son fils.

Comité de lecture

Giraudoux était depuis longtemps en relations étroites avec les Éditions Émile-Paul frères, l'un de ses principaux éditeurs, avec Grasset. Robert Émile-Paul aurait également pu être l'éditeur de Jean-Pierre, le fils de Giraudoux, qui écrivit un roman à l'âge de dix ans. Comme il avait vu tant de fois faire son père (se souvint Martin du Gard), il livra le manuscrit auprès de l'éditeur, qui lui fit savoir, le visage grave, que le comité de lecture en jugerait. Cela prit quelque temps, mais le jeune auteur n'ayant plus de nouvelles, il s'en inquiéta. 'Au fait, c'est quoi, un comité de lecture?' demanda-t-il à Giraudoux. 'C'est un homme de goût', dit son père. Sa mère alla s'informer du sort de son manuscrit, et dut lui dire, naturellement, qu'il avait été refusé. 'Tu vois, il ne faut jamais demander quelque chose à un homme de goût', s'exclama l'enfant. Désespéré, il se laissa tomber par terre, comme il appartient à un vrai romancier, ce que son père constata avec satisfaction.

Combat avec l'image est une brève méditation, se déroulant dans la chambre d'hôtel où logeait Giraudoux après la déclaration de la guerre et la capitulation du gouvernement français. Dans les premiers paragraphes, il raconte qu'il a reçu en cadeau ce croquis de Foujita, et comment celui-ci change son lieu de travail: 'Quand j'allume la lumière, j'éclaire quelque chose. Quand je ferme la chambre, je mets cette chose dans l'obscurité', et ce quelque chose, c'est le croquis, qui ne supporte pas de cadre, n'ayant pas non plus d'ailes pour s'envoler. Le portrait de la femme endormie est là quand il mange, et quand il écrit. Elle représente l'existence quotidienne ordinaire, qu'il a laissée derrière lui depuis le commencement de la guerre; sa maison, les meubles, les odeurs. Ce texte appartient au genre de l'art sur l'art. Il existe de nombreux poèmes sur des tableaux de musée, et aussi de nombreux livres sur le patrimoine culturel, le plus connu étant probablement la promenade de Mario Praz dans sa propre maison (La casa della vita).

Entre Tokyo et Paris

Tsuguharu Foujita, un artiste d'origine japonaise, se fit naturaliser français en 1955, et en 1959, il se convertit au catholicisme. Depuis qu'il avait visité Paris pour la première fois, en 1913, il répartissait son temps, lors de ses nombreux voyages internationaux, entre Tokyo et Paris. Au Japon, son succès fut précoce. L'empereur acheta une des ses œuvres, et il reçut une commande pour le portrait de l'empereur de Corée. À Paris, il fut, à Montparnasse, l'une des personnalités les plus marquantes, ouvrant une nouvelle voie artistique. Il réalisa, principalement, de nombreuses peintures murales et aquarelles, dans un style s'apparentant à la peinture naïve, à l'expressionnisme, et à l'art décoratif dans la peinture japonaise. Après les atrocités de la Première Guerre mondiale, et l'apparition du cubisme, il trouva qu'il était temps de revenir à la peinture traditionnelle. Son art se caractérise par un trait calligraphique, pour lequel il utilisait ses pinceaux les plus fins, et des fonds d'un blanc lacté, réalisés à l'aide d'ingrédients tels que des coquilles d'huîtres finement moulues.

Foujita dessina des fleurs, des chats et surtout des jeunes femmes aux yeux clos, comme dans le portrait qu'il réalisa pour cette édition. Le texte indique que le dessin fut gravé à la 'pointe sèche', la coloration des traits gravés ayant peut-être été réalisée à l'aquarelle. La lithographie est utilisée comme technique de reproduction pour Combat avec l'image. Le blanc lacté, dans cette illustration, fut imprimé en dernier. Les dessins furent d'abord imprimés en couleur, comme une sorte de fond pour le texte; ensuite, fut imprimé le texte, et enfin, le blanc lacté, recouvrant l'illustration et le texte. C'est pourquoi le texte, ici et là, n’est pas noir, mais plutôt gris et même bleuté, l'unité graphique entre texte et illustration étant optimale. Cet effetest d'autant plus frappant dans les 100 exemplaires qui n'ont pas été imprimés sur papier blanc, mais sur papier BFK de Rives, couleur chamois. D'après le biographe de Giraudoux, le portrait original de Foujita fut dérobé vers 1990.

Description bibliographique

Description: Combat avec l'image / Jean Giraudoux ; dess. de Foujita. - Paris : Éditions Émile-Paul frères, 1941. - [24] p. : ill. ; 26 cm

Imprimeur: l'Imprimerie Aranéenne

Tirage: 1100 exemplaires

Exemplaire: No. 56 des 100 sur papier de Rives

Bibliographie: Bénézit 5-603 ; In liefde verzameld 40 ; Monod 5442

Cotation: KW Koopm A 744

Références bibliographiques

  • Jacques Body, Giraudoux et l'Allemagne. Paris, Didier, 1975
  • Paul van Capelleveen, Sophie Ham, Jordy Joubij, Voices and visions. The Koopman Collection and the Art of the French Book. The Hague, Koninklijke Bibliotheek, National Library of the Netherlands; Zwolle, Waanders, 2009
  • Paul van Capelleveen, Sophie Ham, Jordy Joubij, Voix et visions. La Collection Koopman et l'Art du Livre français. La Haye, Koninklijke Bibliotheek, Bibliothèque nationale des Pays-Bas; Zwolle, Waanders, 2009
  • Philippe Dufay, Jean Giraudoux: Biographie. Paris, Julliard, 1993
  • Jean Giraudoux, Oeuvres romanesques complètes.Paris, Gallimard, 1990-1993. (Bibliothèque de la Pléiade)
  • Bettina Liebowitz Knapp, 'Jouvet and Giraudoux 1928-1934', in: Louis Jouvet, man of the theatre. New York, Columbia University Press, 1957
  • Maurice Martin du Gard, Les mémorables, 1918-1945. Paris, Gallimard, 1999
  • Paul Morand, Foujita. Paris, Chroniques du jour, 1928