Le promenoir des deux amans

Année: 1949 
Auteur: Tristan L’Hermite (1601 - 1655) 
Artiste: Valentine Hugo (1887 - 1968) 
Éditeur: G.L.M. [Guy Lévis Mano]

Le promenoir des deux amans, couverture

L’année 1939 a été une des années les plus productives de la maison d’édition GLM à Paris, créée en 1933. L’imprimeur, typographe et poète Guy Lévis Mano (GLM) a publié 27 livres avant la déclaration de guerre au mois de septembre. Cinq ans plus tard, après des années de captivité, il a retrouvé son atelier intact. Mais de tous ses projets d’avant-guerre, seulement quatre publications ont vu le jour. La dernière, Le promenoir des deux amans - pourtant annoncée comme la première édition à paraître en septembre 1945 - a été publiée en juillet 1949, dix ans plus tard que prévu. 

Le retour des textes anciens

La genèse de ce livre est particulièrement intéressante. S’il est vrai que l’œuvre de Tristan l’Hermite (1601-1655) suscitait l’intérêt des chercheurs et des compositeurs au début du vingtième siècle, il n’y avait rien qui laissait présager une réédition de son poème ‘Le promenoir des deux amans’, par GLM. Dès le départ, Mano publiait de la poésie, mais depuis 1935 il travaillait notamment pour les surréalistes. Pendant cette période de multiples éditions originales ont paru chez GLM, contenant en général plusieurs illustrations. Après 1945 il a changé sa politique éditoriale. L’amour que Mano portait à la poésie l’incitait désormais à publier - à côté des œuvres de ses contemporains talentueux - des traductions et des rééditions de textes anciens, en particulier du seizième siècle.

La mise en pages des post-incunables français du seizième siècle était en plus une véritable source d’inspiration pour l’imprimeur. Ce style plutôt sobre, qui est typique des éditions ultérieures de GLM, est également visible dans Le promenoir des deux amans. Composée en Garamond, un de ses six caractères préférés à partir de 1945, cette édition garde néanmoins un aspect moderne. En la comparant avec la réédition du poème par Jacques Haumont, publiée en août 1945, on est frappé par la composition novatrice de GLM. Tandis que Haumont voulait se rapprocher le plus possible de l’original et n’a ajouté qu’une seule gravure, GLM et l’artiste Valentine Hugo ont travaillé ensemble afin de créer une nouvelle édition.

Des lignes harmonieuses ou de l'illustration

À partir de 1935 Valentine Hugo produisait régulièrement des illustrations pour des livres publiés par GLM. L’artiste, une des illustrateurs les plus importants des Ballets russes et des surréalistes, s’était installée à Paris en 1907. Là, Hugo a vite obtenu une réputation professionnelle et son désir de liberté artistique lui valait le surnom ‘l’Indépendante’. Même dans les cercles littéraires et musicales de l’époque elle était connue. Jean Cocteau - un de ses meilleurs amis des années dix - l’appelait affectueusement ‘le Cygne de Boulogne’, faisant ainsi allusion à son long cou et sa ville de naissance Boulogne-sur-Mer.

Des gravures, des lithographies et des eaux-fortes qu’elle tirait dans son propre atelier, des pastels sur toile et même des réalisations diverses de costumes et de décors: Hugo savait tout faire. Et comme GLM, elle a travaillé avec les surréalistes pendant les années trente. Hugo était par ailleurs la première artiste célèbre à intégrer ce groupe d’avant-gardistes. Son style restait néanmoins plus classique. Les influences du naturalisme, du symbolisme et de l’art nouveau, ainsi que des illustrations de la fin du dix-neuvième siècle sont bien visibles dans ses œuvres. On y retrouve des fleurs, des animaux, des yeux et des courbes innombrables. Ces thèmes récurrents sont aussi présents dans les quatre illustrations en noir et blanc du ‘Promenoir des deux amans’. Le caractère exceptionnel des images ornant ce poème d’amour de 28 strophes - qui s’adresse à une des Océanides de la mythologie grecque, la nymphe Climeine - ne provient donc pas du contenu. C’est le style limpide qui surprend, et qui se rapproche plus des esquisses rapides que des lithographies et des eaux-fortes si raffinés et caractéristiques de Hugo.

Le promenoir des deux amans, page [17] avec une illustration de Valentine Hugo

Lors d’un entretien radiophonique en 1950 (avec Georges Charbonnier) Hugo a présenté son travail d’illustratrice de la manière suivante : elle qui n’aime pas les lignes droites dessine comme si elle écrivait. Et c’est justement cette combinaison créative de l’écriture et des dessins qui frappe. Ses illustrations aux lignes onduleuses semblent osciller entre calligraphie et un monde fantastique aux formes quelque peu abstraites. La première illustration, représentant Narcisse qui admire son reflet dans un vivier, comprend aussi la première lettre (presque inapparente) du poème. Même ses propres initiales sont placées d’une telle façon qu’elles font tout naturellement partie de la composition. Pendant l’entretien Hugo a également indiqué qu’on ferait mieux de regarder ses œuvres de loin, puisque c’est ainsi que toutes ces lignes, qui s’enchevêtrent comme des pensées, prennent forme. Le portrait de Climeine en est un bon exemple. Le reflet de l’eau, évoqué par des courbes calligraphiques, brouille d’abord l’interprétation. À première vue l’image paraît floue et animée à la fois. Cela ne perturbe cependant pas la simplicité de cette réédition, bien au contraire. Les quatre dessins au trait qui contrastent que légèrement avec la typographie ressuscitent ce poème sensuel du dix-septième siècle. 

Description bibliographique

Description: Le promenoir des deux amans du sieur Tristan L'Hermite / orné de 4 dessins de Valentine Hugo. - Paris: GLM, 1949. - [21] p. : ill. ; 26 cm
Imprimeur: Guy Lévis Mano
Tirage: 562 exemplaires
Exemplaire: Un des 493 exemplaires sur papier Marais, un des 25 exemplaires impr. pour les Amis de GLM
Caractère: Garamond 
Note: 1ere éd. dans: Plaintes d’Acante, 1633 ; Non rogné
Bibliographie: Bénézit 7-250/251 ; Les Éditions GLM 1923-1974: bibliographie (1981), nr. 306 (p. 66)
Cotation: KW KOOPM L 56

Références bibliographiques

  • Cathy Bernheim, Valentine Hugo. Paris, Presses de la Renaissance, 1990
  • Amédée Carriat, Tristan ou L’éloge d’un poète. Limoges, Rougerie, 1955
  • Whitney Chadwick, Women Artists and the Surrealist Movement. London, Thames and Hudson, 1985
  • Antoine Coron, Les Éditions GLM 1923-1974 : bibliographieParis, Bibliothèque Nationale, 1981
  • GLM Guy Lévis Mano (1904-1980) poète, typographe, éditeur. Bruxelles, Aux maisons du lièvre, 1990
  • Jean Langevin, ‘Jacques Haumont, typographe, imprimeur, éditeur’, dans: Communication & Langages, 62 (1984), p. 86-104
  • Wolfgang Leiner, ‘“Le promenoir des deux amans” : lecture d’un poème de Tristan l’Hermite’, dans: Papers on French Seventeenth Century Literature, 9 (Summer 1978), p. 29-48
  • Béatrice Seguin (éd.), De Valentine Gross à Valentine Hugo, Boulogne-sur-Mer – Paris (1887-1968). Boulogne-sur-Mer, La Bibliothèque municipale de Boulogne-sur-Mer, 2000. (incl. ‘Couleur de ce temps’, entretien radiophonique de Valentine Hugo avec Georges Charbonnier, Radiodiffusion française, 22 décembre 1950)